La Prière de l'absent by Tahar Ben Jelloun

Auteur:Tahar Ben Jelloun [Jelloun, Tahar Ben]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Seuil
Publié: 2017-02-09T23:00:00+00:00

– Je voudrais vous dire, ô compagnons de route, vous dire la terre de l’insolence suprême, l’étendue du silence et de la lumière, je voudrais, ô amis de la parole et des mots, si vous avez de la patience, vous conter l’histoire où rien n’arrive, ou rien ne commence et où tout finit dans la béatitude et la paix des sables.

« C’est du désert que je parle et déjà ses images, transparentes et chaudes inondent mon esprit. C’est vers cet infini changeant et ce miroir du ciel que vont mes mots pour puiser une phrase, fabriquer un conte.

« Toutes les histoires ont une fin. Pas celle du désert. Voilà pourquoi je ne cesserai pas de la dire, et vous, vous ne vous lasserez pas de l’entendre, car

elle est énigme.

« C’est l’histoire de dunes et d’ombres qui avancent lentement à la recherche d’un rivage, guidées par l’oiseau migrateur. Un oiseau ou une main. Pour découvrir l’origine dans la mort suspendue.

« Le rêve. Oublié de l’océan mais non du temps. Elle est en nous son histoire ; elle nous traverse dans l’oubli nocturne, au moment où nous abandonnons nos habits et nos masques. C’est l’histoire de la nuit qui ne succède plus au jour mais à elle-même. Quand la nuit se laisse inonder de la lumière du matin, elle se retire dans l’extrême humilité, un peu vaincue par l’absolu de ce territoire, nu, invisible, immatériel.

« Ô compagnons ! La vérité est de cet absolu, enroulée dans le sable, enroulé lui-même par le vide dans le vide ; seule la lumière reste suspendue au-dessus d’un puits où la légende a noyé un enfant le septième jour de sa naissance, un enfant qui n’aurait pas dû naître, ni être conçu, juste en cette nuit de l’erreur, juste en cette fête du destin.

« Ô amis du songe ! La nuit est une robe légère qui touche à peine les flots et les dunes, qui voile les blessures de la terre dans le plus profond des silences. Terre mêlée au ciel, tendrement repliée sur quelques pierres sacrées, garantes des quatre vertus essentielles : l’orgueil, la pudeur, le courage et l’intelligence de l’intelligence.

« Ô compagnons des mots et des chants, c’est une histoire interminée, se déroulant loin de la vanité des hommes, au sommet de toutes les passions, la passion de l’oubli.

Yamna aurait pu continuer ainsi à raconter le désert. Elle prononçait les mots avec lenteur et répétait des phrases plusieurs fois. Le chauffeur n’osait pas l’interrompre, mais il montrait bien qu’il était surpris et inquiet. Ce fut Sindibad qui, profitant d’un long silence, intervint :

– L’histoire du désert est aussi vaste et infinie que l’histoire de l’océan. Je me souviens qu’une fois, lors d’un voyage long et pénible sur le Nil, j’étais pris d’une forte fièvre. Je délirais. C’était une nuit de pleine lune, une nuit d’une clarté troublante : des silhouettes couraient le long du fleuve en m’interpellant. J’avais failli me précipiter vers elles. C’était les bras de la mort qui se tendaient en ma

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